Pendant des années, le nom "Desertec" a résonné dans l'imaginaire collectif des Algériens comme le projet du siècle. On nous promettait un avenir où le soleil du Sahara éclairerait l'Europe tout en apportant richesse et développement au Sud.
Pourtant, plus d'une décennie plus tard, le grand projet semble s'être évaporé, laissant place à des initiatives nationales comme la centrale de Ghardaïa. Que s'est-il vraiment passé ? S'agissait-il d'un partenariat équitable ou d'un simple plan de sécurité énergétique pour l'Europe ?
Voici l'histoire cachée derrière le mythe Desertec.
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La Genèse : Une équation physique séduisante
L'idée de base, née au début des années 2000, repose sur un constat scientifique implacable du physicien allemand Gerhard Knies : les déserts mondiaux reçoivent en 6 heures plus d'énergie solaire que l'humanité n'en consomme en une année.
Selon les études du Centre aérospatial allemand (DLR), couvrir seulement 0,3% du Sahara (soit 40 000 km²) suffirait à alimenter la planète entière. Sur le papier, c'était le plan parfait : l'Europe apportait la technologie et l'argent, l'Afrique du Nord offrait le soleil et l'espace.
Un Projet "Par les Européens, Pour les Européens" ?
C'est ici que le bât blesse. Lancée officiellement en 2009, la fondation "Desertec Industrial Initiative" (Dii) était dominée par des géants allemands : Munich Re (assurance), Deutsche Bank (finance) et Siemens (technologie).
L'objectif affiché dans le rapport "Desert Power 2050" était clair :
Couvrir 15 à 20% des besoins électriques de l'Europe.
Économiser 30 £/MWh pour le consommateur européen.
Créer un marché d'exportation de 60 milliards d'euros.
Pour l'Algérie, la perception a rapidement changé : le projet ressemblait davantage à une exploitation des ressources pour sécuriser l'Europe, sans garantie réelle de transfert technologique.
Pourquoi l'Algérie a pris ses distances ?
Contrairement au Maroc qui a foncé avec le projet Noor Ouarzazate (financé massivement par l'étranger), l'Algérie a adopté une posture de prudence souveraine. Bien qu'un accord stratégique ait été signé à Bruxelles en 2011 entre Sonelgaz et l'UE, les obstacles étaient nombreux :
Le coût : À l'époque (2010-2014), le solaire thermique (CSP) coûtait trop cher par rapport au gaz algérien subventionné.
L'instabilité régionale : Le "Printemps Arabe" a effrayé les investisseurs européens (notamment Siemens qui s'est retiré).
La Souveraineté : L'Algérie refusait d'être une simple "batterie" pour l'Europe. La priorité était l'électrification nationale.
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Analyse Technique : Les Vraies Raisons de l'Échec
Au-delà de la politique, deux raisons techniques majeures justifient le scepticisme algérien :
1. L'Impasse du Solaire Thermique (CSP)
Le projet initial reposait massivement sur le Solaire Thermique à Concentration (CSP), une technologie qui utilise des miroirs pour chauffer un fluide. Or, le marché mondial a basculé : le coût du Photovoltaïque (PV) a chuté de plus de 85%, rendant le CSP économiquement obsolète. De plus, le CSP nécessite d'énormes quantités d'eau pour le refroidissement, une ressource rare au Sahara. L'Algérie a donc refusé d'investir des milliards dans une technologie coûteuse et gourmande en eau.
2. La Contrainte du Transport HVDC
Transporter des électrons sur 3000 km via des câbles sous-marins HVDC engendre des coûts astronomiques et des pertes techniques (effet Joule), bien supérieurs au transport de gaz. Les experts de Sonelgaz ont compris qu'il était économiquement irrationnel de construire de coûteux câbles pour l'exportation exclusive. La stratégie a donc muté vers une approche plus efficiente : l'Hydrogène.
De Desertec au "Programme National" (2025)
Aujourd'hui, on peut dire que le "label" Desertec a échoué, mais l'idée a survécu sous une autre forme. L'Algérie a repris le contrôle de son destin solaire.
Au lieu d'attendre des méga-projets pilotés depuis Munich, l'Algérie lance ses propres stations (comme le projet Solar 1000 MW géré par SHAEMS), financées par des capitaux nationaux et exécutées avec des partenaires qui acceptent le transfert de technologie.
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Il est important de noter qu'en 2025, le rêve d'exportation d'électricité a muté vers l'exportation d'Hydrogène Vert via le projet SoutH2 Corridor. L'Algérie exporte toujours de l'énergie, mais elle préfère le faire via ses propres infrastructures gazières adaptées, tout en préservant ses réserves naturelles.
LIRE AUSSI : Algérie Sonatrach : Tout sur le projet "Puits Carbone" et la stratégie gazièreConclusion : Un mal pour un bien ?
L'échec du format original de Desertec a permis à l'Algérie d'éviter une nouvelle forme de dépendance. Aujourd'hui, le pays construit son propre avenir énergétique, mais cette fois-ci, l'interrupteur est à Alger, pas à Bruxelles.
Sources et Références
1. Rapports & Données Scientifiques
DLR (German Aerospace Center) : L'étude originale sur le potentiel solaire du Sahara (MED-CSP).
Dii Desert Energy (Ex-Desertec Industrial Initiative) : Rapports et vision stratégique.
2. Analyses Économiques & Presse
Der Spiegel International : "Developing Desertec: European Dream of Desert Energy Takes Shape".
EconStor (ZBW) : Études sur l'impact économique du projet MENA-Europe.
3. Contexte National (Algérie)
Ministère de l'Énergie et des Mines : Accords et stratégies des énergies renouvelables.
Commission Européenne : Mémorandum d'entente sur le partenariat stratégique énergétique (2013).